Plus de 20 ans que je n'avais pas eu de prise de sang. J'ai horreur de ça. Si en plus on me trouvait un cancer... Pendant que l'infirmière remplissait interminablement ses fioles de mon sang je regardais la secrétaire s'affairer d'une cabine l'autre. Une créature. Très grande, sculpturale, les cheveux courts rouge feu, cuissardes de cuir luisant, elle ne portait qu'un collant noir qui lui moulait parfaitement le haut des cuisses et les fesses et tout cela frémissait terriblement quand elle se déplaçait de son pas tellement autoritaire. Moi, me vidant lentement de mon sang, minuscule à côté, j'avais chaud... (Vous risquez d'avoir un peu chaud, m'avait dit la gentille, douce, frêle infirmière...) J'étais en même temps un peu comme dans un rêve... J'aurais peut-être aimé que ça continue, me vider même intégralement de mon sang, à la romaine, lentement, bercé par les paroles douces de l'infirmière, avec la créature spectaculaire aux formes frémissantes que j'aurais eu de moins en moins l'énergie de désirer et même bientôt de suivre des yeux... (Une très belle mort, peut-être...) Je l'ai revue, dans l'après-midi, dans la rue, la créature... Immense, claquant des bottes énergiquement, tout qui bouge quand elle marche, je me suis arrêté net sur le trottoir pour la contempler une dernière fois mais ce n'était plus pareil, il aurait fallu peut-être qu'en même temps je me vide de mon sang... Ça m'a donné envie de revoir la cité des femmes... Comme c'était bon, comme c'était drôle et beau... Plus personne ne sait rêver comme ça...
vendredi 28 octobre 2011
lundi 24 octobre 2011
C'est un type plutôt gentil, l'assassin sans visage (follow me quietly), il ne fait pas de bruit, il est tranquille. Son seul vice avéré, c'est la cigarette. (Il en faut bien un...) Tout le monde l'aime bien, même si personne ne le fréquente vraiment. C'est un peu un loser, un peu un minable, il a passé la quarantaine, il vit tout seul dans une petite chambre meublée... Il a ses petites habitudes dans le quartier... Qui irait imaginer qu'il cultive depuis toujours son petit jardin secret, son même petit jardin des horreurs... Parce qu'il a l'air tellement humble, comme ça, tout simple, tellement doux, poli, inoffensif, le gars sans histoire(s)... Je ne peux évidemment que m'identifier fortement, moi qui suis également un doux monstre d'égocentrisme qui cultive à ma façon également mon petit jardin secret des horreurs, même si ce ne sont pas tout à fait les mêmes horreurs... La seule grande différence, entre lui et moi, c'est que lui, quand il se met à pleuvoir, il a des pulsions meurtrières, quand les miennes me conduiraient plutôt à faire la sieste... Un détail... Un détail?... Oui, un simple détail... Un monstre ordinaire... Et puis un jour, tellement frustré, tellement proche de l'implosion, lui qui n'a jamais été personne, il a besoin de se faire connaître, enfin, d'exister, socialement et même universellement, totalement, il devient alors... le Juge... Rien que ça... Il s'est fait un album, qu'il feuillette, quand il ne pleut pas, juste pour lui, comme il feuilletterait un album de famille peut-être, s'il en avait une... parce que quand il pleut il a d'autres envies (comme moi de faire la sieste)... mais quand il ne pleut pas, il feuillette son album, son livre secret, juste pour lui, son œuvre... Tiens, ce jour-là, si je me souviens bien, il pleuvait... Et puis, ce jour-là... peut-être bien aussi... Il pense aussi aux messages qu'il a laissés derrière lui, signés le juge, son œuvre aussi mais publique celle-là, pour le monde, la postérité... Normal, qu'il soit tranquille, la plupart du temps, sa vie est si bien remplie, mine de rien, même s'il a l'air un peu d'un pauvre type qui vit tout seul dans son meublé, qui feuillette au café du coin des magazines pleins de faits divers sordides mais ô combien stimulants pour l'imagination et même parfois tellement émouvants, quand on y parle de lui, alors ce n'est pas si grave, son air, car lui c'est un modeste, un homme de l'ombre... Ce qui est important, c'est son œuvre... Là, il existe... Si vous saviez comme je suis fort, comme je suis grand, au fond, tout au fond, et malin... Et comme ça m'amuse aussi, quelque part, de paraître tellement petit, tellement insignifiant...
mercredi 19 octobre 2011
J'ai dû aller jusqu'en Italie pour trouver enfin une belle copie de the strange love of Martha Ivers (lo strano amore di Martha Ivers— l'emprise du crime), de Lewis milestone. Il est dans mon petit panthéon noir depuis longtemps, avec tant d'autres perles comme gun crazy, detour, dangerous crossing, black angel... et tant d'autres... des films qui ont fini par devenir même intimes, éléments d'une sorte d'autocinébiographie rêvée... Pour dire les choses grossièrement, il y a d'un côté le western qui parle de l'homme dans la nature, de l'autre le film noir qui parle de l'homme dans la ville. Les deux parlent de l'homme dans sa tête, sauf que le décor est différent et le décor, au cinéma, c'est tout, c'est même le monde. Il y a parfois des films noirs, comme high sierra, qui sont en fait plutôt des westerns, et des westerns, comme I shot Jessie James, qui sont plutôt des films noirs, pour dire que les frontières ne sont pas complètement étanches. On peut considérer ces deux genres comme les deux genres majeurs du cinéma américain, sa création exclusive, qui, quelque part, imbriqués l'un dans l'autre comme le yin et le yang, forment une sorte de mystique cinématographique. Il y a le dedans, le dehors, le dedans qui est dehors, le dehors qui est dedans... Ce sont peut-être les films qui m'ont le plus impressionné dans l'enfance, quand ils passaient à la télé, pour ceux que j'ai vus dans l'enfance. Parce qu'ils étaient très codifiés, j'étais aussitôt plongé dedans comme dans des rêves, et ça n'a pas changé. Il y avait les grands espaces, la mythologie du Far West, il y avait les espaces confinés, enfumés, les murs du film noir... Le passé mythique, le présent brutal... Tout cela s'est imprimé en moi, cette vision du monde dichotomique pour ne pas dire bipolaire... Soit c'est un western, soit c'est un film noir, ou bien alors c'est un western déguisé en film noir, ou bien l'inverse... C'est comme avoir un appartement en ville et une maison à la campagne et, entre les deux, il y a encore autre chose, un autre espace... Dans tous les cas ou presque, la nature humaine est violente, criminelle. La violence est même le moteur de tout. C'est ce qui est beau, dans le cinéma américain, cette brutalité essentielle, originelle et toute la finesse pour l'immortaliser. Les plus belles réussites, dans ces genres, situées en gros dans les années 40 et 50, sont des sortes de rêves éveillés et le spectateur, moi, un gamin les yeux écarquillés qui croit en tout ça absolument, naïvement, d'un cœur pur, comme il croirait en Dieu s'il n'était pas mécréant. Quelque part, donc, ces films ultra violents, dominés par des pulsions criminelles et sexuelles, sont avant tout des films pour enfants.
dimanche 9 octobre 2011
Vous étiez sublime, dans la fille dans la vitrine, de Luciano Emmer, la grâce absolue, à la fin j'étais en larmes, tellement vous étiez belle, je lui ai dit, les yeux dans les yeux, en guise de préambule. Elle était assise, les jambes croisées, très distinguée et très simple à la fois, dans un canapé dans le hall, un peu en avance, attendant la séance de casque d'or qu'elle devait présenter. Moi aussi, j'étais un peu en avance pour la séance car je devais la lancer et je l'ai vue et je l'ai reconnue et j'ai ressenti alors le besoin d'aller lui dire que je l'avais trouvée sublime et que je m'en souviendrais toute ma vie, une sorte même de pulsion alors que normalement je m'en fous, des acteurs, des gens connus, ils ne me font même aucun effet, ne m'impressionnent pas le moindrement. Personne ou presque ne l'avait remarquée et du coup il n'y avait pas foule, c'est aussi pour ça que j'y suis allé, je me suis assis sur l'accoudoir du canapé, je lui ai dit... Elle m'a regardée, alors et j'ai entendu sa voix, cette voix... Un de mes plus grands souvenirs, m'a-t-elle dit, émue... Elle m'a appris ensuite la mort récente de Luciano, avec qui elle était restée très proche, jusqu'à la fin, elle en avait les yeux tout brillants... Et puis il y avait Lino... Ah Lino... J'en avais oublié Lino, lui ai-je dit, tellement il n'y avait que vous... Quelle belle voix, Marina Vlady... 51 ans après la fille dans la vitrine, elle avait toujours la même voix et elle croisait les jambes pareil... Pendant qu'on discutait, je regardais parfois ses mains, parce qu'elle semblait souffrir un peu de ses mains, un peu d'arthrose peut-être il m'a semblé, elle avait un pouce légèrement déformé et ses poignets étaient un peu enflés... J'étais ému... La fille dans la vitrine, c'était elle, quand même, sublime... Ensuite elle s'est rendue dans la grande salle que j'ai allumée pour elle, avec soin, j'ai géré tout avec douceur et même avec amour, elle a fait son petit discours sur casque d'or, très court car elle avait un train à prendre... Quand elle est sortie de la salle, j'ai attendu un peu avant d'éteindre les poursuites, n'ai pas embrayé brutalement sur le film comme c'est souvent l'usage, ai éteint tout doucement la salle, les poursuites, puis l'écran, puis le reste, ai envoyé ensuite le film...