jeudi 8 septembre 2011

En 66, je nais. En 66 sort également Nayak (le héros), de Satyajit Ray. Moi aussi, je suis doué pour les ronds de fumée. En ce temps-là, on avait encore le droit de fumer, dans les trains. On est dans un train, donc. C'est toujours bien, d'être dans un train, il se passe toujours quelque chose, même quand il ne se passe rien. Moi aussi, je voyage en train, si on peut parler de voyager dans mon cas, même si ce n'est pas tellement le nombre de kilomètres qui compte, ni le fait de relier un point géographique à un autre, c'est être dans un train, qui compte, car être dans un train, ne serait-ce que pour une heure, c'est voyager. C'est comme entrer dans une salle de cinéma, entrer dans un train et quand le train démarre, la salle s'éteint et la séance peut alors commencer. C'est du cinéma, en somme, être dans un train. C'est même mieux. On est dans le mouvement. Même si on est immobile et qu'il ne se passe rien, on est dans le mouvement. Il ne se passe rien? Le paysage passe. Le temps passe. Il y a des gens, dans le train, dans ce même train, qui passent. Tout passe. Et même, tout passe différemment, dans un train. Les pensées, aussi, dans un train, passent différemment.  Je me souviens avoir rencontré, dans un train pour Madrid, un moine franciscain, tonsure et robe de bure, malandrin repenti, qui ressemblait à Jean Yanne, parlait comme Jean Yanne. Mais c'est une autre histoire. Le héros, dans Nayak, est une star de cinéma. Un acteur. Il joue. Il ne sait plus très bien qui il joue, ni pourquoi il continue de jouer qui il joue. Une jeune et jolie journaliste l'interviewe. Elle semble tellement naturelle. Mais n'est-elle pas en train de jouer elle aussi? Il se souvient de moments cruciaux de sa vie. Il s'endort, fait des rêves perturbants. Il se saoule. A un moment, il n'est pas loin de se jeter du train en marche. Il voyage. Il est pour ainsi dire au cinéma, le héros, dans ce train. Il joue à être qui il est vraiment. C'est sa vie, qui défile, dans le train. Et le film s'arrêtera quand le train s'arrêtera. Elle est jolie, la journaliste à lunettes. Elle le comprend, immédiatement. Il n'a rien besoin d'expliquer. Elle sait. Elle le connaît, pour ainsi dire d'instinct, sans avoir vu ses films. Elle le voit, même quand elle enlève ses lunettes. Lui aussi, il aimerait bien la connaître... Elle sait aussi et lui aussi le sait que le film s'arrêtera, quand le train s'arrêtera...

mercredi 7 septembre 2011

Un peigne. Un peigne ordinaire. Ce n'est pas vraiment le mien. Quand elle est partie, elle a voulu tout récupérer, absolument tout, y compris les petites choses qu'elles m'avait données, y compris les photos que j'avais prises, y compris les souvenirs dans ma tête. Si elle avait pu arracher ces quelques jours du passé comme quelques feuilles d'un cahier, elle l'aurait fait, rageusement. (Quand elle m'avait demandé si je voulais récupérer le Ramuz que je lui avais offert et qu'elle ne lirait de toutes façons jamais, je lui avais dit doucement que je ne reprenais jamais ce que j'avais donné et elle avait voulu être cruelle en répétant emphatiquement ma phrase et finalement c'était bien elle la plus blessée. Laisse-le sur un banc... Ou fous-le à la poubelle... je lui avais dit gentiment, dans un haussement d'épaules, pour clore le chapitre.) Mais elle a oublié son peigne. Elle l'avait acheté un jour où elle voulait se laver les cheveux. Elle m'avait demandé alors un peigne. Vu l'état du mien, dont je ne me servais jamais car je ne suis pas du genre à me peigner, qui avait pris la poussière, tout gras sous l'évier à côté de la poubelle, où il a fini, elle était allée acheter un peigne au supermarché en bas. Un peigne tout simple, le premier prix elle m'a dit, un peigne quoi. Alors je l'ai gardé. Ce n'est pas vraiment mon peigne, mais depuis que je l'ai, parfois, il m'arrive de me peigner, après m'être lavé les cheveux. Je prends mon temps, je pense à la fille au peigne, la Niña de los Peines... Il est toujours tout propre, car j'en prends grand soin, comme si ce n'était pas le mien, car le mien je le laisserais s'encrasser sous l'évier, puisque je ne suis pas du tout du tout du genre à me peigner. En même temps, ce n'est pas vraiment son peigne. Elle ne s'en est servi qu'une fois. C'est juste un peigne.

dimanche 4 septembre 2011

45 minutes, ça suffisait à Satyajit Ray pour raconter très simplement une histoire dont on se souviendrait toute sa vie. Moi, en tout cas, je m'en souviendrai toute ma vie, de cette histoire. Je ne suis pas Indien, ni brahmane, ni indésirable (quoique...), intouchable je voulais dire, j'ai fait un lapsus et en même temps c'est la même chose, intouchable, indésirable... Je ne suis pas Indien, et pourtant ça me parle de choses que je connais depuis toujours. Un intouchable, tout en bas de l'échelle donc et même plus bas encore, vient demander une faveur de nature spirituelle à un brahmane, tout en haut de l'échelle donc. L'intouchable est maigre. Il a de la fièvre. Le brahmane est bien gras. Il ne fait que bouffer et faire la sieste. S'éventer avec art est sa plus physique occupation. Sa femme, très distinguée, est pleine de mépris pour les petites gens, bien plus encore que son époux. (A un moment, l'intouchable demande du feu pour allumer sa pipe, quelle inconvenance, elle lui jette alors quelques braises au visage. Parce qu'il est déjà épuisé, l'intouchable, il n'a rien mangé depuis la veille, à un moment il croit que fumer lui donnera un peu de cœur au ventre...) L'intouchable est plein de considération, au début, de respect, vient même avec une offrande, laquelle est acceptée avec un peu de dédain par le brahmane. Car ce n'est pas suffisant. Ce n'est même jamais suffisant. Il lui fait balayer la cour. Puis ceci, puis cela, couper du bois... Jusqu'à l'épuisement, jusqu'à la mort... L'intouchable est maintenant étendu raide devant la maison au bord du chemin et personne ne veut le toucher, bien entendu... La femme de l'intouchable, évidemment magnifique, vient alors hurler sa douleur et taper du poing contre la porte du brahmane et de sa femme claquemurés qui n'osent plus même respirer. Elle n'avait pas grand chose. Désormais elle n'a plus rien du tout. Elle finira mendiante, ou prostituée, on imagine. Ou bien prostituée puis mendiante... Ils ont peur... et honte... Que vont penser les gens?... Et pourquoi les autres intouchables refusent-ils de les débarrasser de l'intouchable?...  De vénérables brahmanes refusent désormais de passer devant la maison tant que la dépouille ne sera pas enlevée... C'est le brahmane gras et paresseux qui finalement devra s'y coller, avec un certain dégoût, néanmoins sans toucher l'intouchable : une corde passée autour d'une cheville de l'intouchable (levée à l'aide d'un bâton) il le traînera péniblement, long calvaire, jusqu'à une décharge pleine de carcasses de bêtes. Ce saint homme aura bien pris soin également de purifier la cour de sa maison par quelques gestes et paroles inspirées. Le jeune fils du brahmane (Satyajit Ray lui-même?) est témoin impuissant et choqué de l'histoire. Il a une dizaine d'années, tout comme la fille de l'indésirable, joyeuse, insouciante, que son père pensait déjà marier, motif de sa visite au brahmane. Et moi je suis ému par tant de simplicité, si peu d'effets. Une telle violence. Un film de Satyajit Ray et même un téléfilm, c'est comme un livre de Ramuz : le style est invisible.

mardi 30 août 2011













Ce que me dit mon café 8.

vendredi 26 août 2011

Ma lectrice voit des seins partout. Moi, le plus souvent, c'est des crânes, que je vois, de l'os, quand pour elle c'est de la chair. Mais là, pour une fois, aujourd'hui, sans me forcer et même immédiatement, je vois un sein bien rond, avec un gros téton, dans mon café. Parce qu'il faut dire que depuis le début, j'espérais tellement voir des trucs sexuels, dans mon café, des culs, des vulves, des seins. J'en avais marre des crânes, des os, de Thanatos. Je me suis même demandé si je n'allais pas, une fois encore, arrêter le café. En même temps, ce téton, il me semble bien malade, comme s'il avait une tumeur (à midi) et alors ce téton devient une tête un peu grotesque et la tumeur est un œil. Ça se passe dans une caverne, obscure, humide. La lumière, on ne sait jamais si elle vient du dehors ou du dedans. Y a-t-il quelque chose à voir, dehors? (Ce que me dit mon café 7.)

samedi 20 août 2011













Ce que me dit mon café 6.

lundi 15 août 2011













Ce que me dit mon café 5.

dimanche 14 août 2011

Parfois, dans la nuit, je me noie. Au début, je pensais que j'étouffais. Mais, en fait, je me noie. Je ne manque pas d'air, c'est plutôt la nuit qui m'a empli. J'ai bu la tasse de nuit bien noire, bien épaisse. J'ai dû aller trop profond, je me dis, là où il n'y a vraiment plus rien. Au début, je croyais que je manquais d'air. Brusquement je m'éveillais, cherchais en vain de l'air, me précipitant même parfois vers la fenêtre. C'était douloureux. Sensation d'être à un instant d'imploser. Big Crunch. Bien des fois je me suis cru mourir, essayant dans la panique d'inspirer alors que j'aurais dû expirer. Maintenant que je sais qu'en fait c'est un trop-plein et non un manque, que j'en ai trop avalé de la nuit et que donc je me noie, je cherche plutôt à l'expulser, la nuit. Alors, soudain assis, conscient de me noyer, moi qui me suis noyé tant de fois, qui suis peut-être même un éternel noyé, plutôt calmement vu la situation, je la vomis, la nuit. (Ce que me dit mon café 4.)