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jeudi 19 mai 2011
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samedi 7 mai 2011
Je suis allé voir le Big Boss. C'est nécessaire, au bout d'un certain temps, quand on a un peu d'expérience, d'aller le voir, au moins de temps en temps. Ce que je fais. Il ne paye pas de mine, même s'il est bien balèze. Comme ça on dirait un peu un boucher, trapu, la bedaine, un visage sympathique, le bon boucher en somme, avenant, bon vivant, bon coup de fourchette, bonne descente, l'œil rieur, la poignée de main vaste et ferme de l'honnête homme, une certaine timidité parfois, une délicatesse... D'ailleurs, il n'est jamais avare de métaphores bouchères*. Il est très fin. Il a son franc-parler. Il est méchant, il veut te détruire, il vient vers toi, tu lui arraches un œil. Au plus simple, toujours. Comment? Avec le doigt... Tu veux que je te montre?... (On croit que l'aïkido est l'art martial le plus paisible, alors que c'est le plus radical. S'il y avait des compétitions, le spectacle ne durerait pas longtemps et il y aurait des morts.) On l'entend arriver de loin, car il traîne la savate comme personne d'autre. Comme le dojo est très spacieux, pour accueillir tous ceux qui viennent le voir de France et même d'ailleurs, il la traîne longtemps, la savate, pour faire le tour avant de se retrouver face à ses ouailles. C'est drôle. (Je l'entends venir de loin, de derrière, je dis alors à mon collègue à côté, sans même me retourner pour vérifier : v'là l'traîne-savates...) Mais là, une fois qu'il est sur le tatami, c'est le Big Boss. No comment. C'est lui l'patron. Si quelqu'un n'est pas d'accord, qu'il se présente, qu'il avance, on verra bien. Une fois, il m'a dit : Ton bras, c'est un bâton! Juste pour ça, pour cette image, ma visite fut extrêmement bénéfique. Ça a remis en question tout ce que je croyais savoir. Mon bras, désormais, est un bâton. Une autre fois, en me parlant de l'autre, de l'adversaire, il m'avait dit : il n'existe pas, tu t'en fous, oublie-le... Je finis toujours ses stages en rampant, cramoisi, la langue sortie, rêvant d'une bière bien fraîche et d'une bonne cigarette, dans un transat. Je n'ai plus de force, après m'être fait propulser tellement de fois dans les airs et m'être relevé bien trop vite. Je me dis à chaque fois que je devrais m'économiser, moins m'envoler, pour mieux tenir la distance, mais à chaque fois je me laisse prendre très tôt par l'ivresse de l'envol. Et puis parfois on n'a pas le choix, si on tient à son poignet, à son coude, à sa tête, il faut y aller, s'envoler d'une façon ou d'une autre. Comme je n'ai plus vingt ans, fumeur et pas sportif du tout, je suis vite épuisé. A force de tenir des postures martiales, basses, ancrées dans le sol, mes cuisses sont à la fin très douloureuses, ainsi que mes fesses. Ce matin, je me suis même demandé si je pourrais me lever. J'avais la sensation d'avoir des blocs de béton à la place de mes cuisses. C'est bon, d'être épuisé. Je vais me traîner pendant plusieurs jours, en boitillant, clopiner, monter ne serait-ce que quelques marches d'escalier me fera grimacer. Mais c'est tellement bon... A un moment, un type qui devait mesurer 1 mètre 90 et peser cent kilos, m'a regardé de loin droit dans les yeux. C'était une invitation, en quelques sortes. J'ai vite compris qu'il était très très fort, pas du tout dans la même catégorie branleur que moi. Il n'a pas dit un mot. Juste les yeux. C'était au bâton. Il me bouffait. Semblait essayer de me corriger, juste avec les yeux. Regards durs, toujours, un peu trop peut-être me suis-je dit au début : un pince-sans-rire? En fait, c'était un lieutenant du Big Boss, 4ème... 5ème... 6ème Dan... j'en sais rien... (Moi, je suis celui qui refuse de passer le premier (Dan), le dilettante mais qui s'assume, de l'école du hakama froissé je dis parfois, je trouve ça bien...) Alors, il me bouffait... Sur une technique où l'on est censé taper sur les doigts de l'autre pour au moins le perturber, lui, il me visait vraiment les doigts... Alors, j'esquivais, je tiens à mes doigts... Regard dur... (S'emparer de l'esprit de l'autre, c'est l'une des règles...) Quand c'était mon tour, je tapais à côté de ses doigts, sur le bâton, comme on fait d'habitude, pour qu'il n'y ait pas d'accident... il ne bougeait pas... je ne pouvais jamais terminer... Regard dur... Alors, à un moment, j'y suis allé franchement, j'ai même poussé un petit "uh!"... oh un tout petit, un timide "uh!"... et je lui ai visé les doigts, comme à la guerre... Ça a fait un bruit différent, son regard droit a un instant perdu sa trajectoire, il a aussi perdu sa posture le même instant et je l'ai transpercé alors de ma lance au niveau du plexus... Ce n'était pas un gros coup, sur les doigts, car je ne suis pas un violent... mais quand même... "uh!"... Légèrement confus, je me suis excusé, incliné même à la nipponne... Quelle erreur... Le truc à ne pas faire... C'est carrément l'insulte... (Un samouraï, à la grande époque, après une telle insulte, humilié par un manant, se serait ouvert le ventre, après peut-être, tout de même, avoir décapité le manant...) Je ne t'ai pas fait mal?... Les doigts... ça va?... Je l'ai dit sans la moindre ironie, qui aurait été très déplacée, juste parce que je n'aime pas du tout faire mal aux gens, alors après, si ça arrive, que je les aie blessés d'une façon ou d'une autre, je m'inquiète de leur état, qui qu'ils soient... Bref... regard encore plus dur... toujours sans un mot... N'empêche qu'à la guerre, il serait mort, à cause de son arrogance, de sa supériorité, bien réelle, écrasante même, indiscutable, évidente, trop évidente... A me fixer ainsi dans les yeux pour me faire la leçon... Moi, je regardais derrière ses yeux, vaguement (ça m'est facile car je suis myope) comme j'avais lu il me semble chez Musashi et le Big Boss, quelques années auparavant, m'avait dit : il n'existe pas, tu t'en fous, oublie-le... Je ne me souciais pas tellement de m'emparer de son esprit, qui était bien plus puissant que le mien, c'était perdu d'avance, j'évitais simplement de me faire taper sur les doigts... Sa leçon, je ne l'ai pas comprise, mais je sens que ça va me trotter longtemps dans la tête... Une montagne, le type, pas un mot, le regard droit, presque de tueur, la posture impeccable... Et moi, souriant, toujours le mot pour rire, parfois même à faire un peu le singe, ce sera peut-être ma leçon : on n'est pas là pour rigoler, ni pour sympathiser, ferme ton clapet, mon gars... C'est la guerre : une toute petite erreur et on est mort... Inutile de dire que j'ai évité de croiser son regard, ensuite, pendant les deux jours, car à mains nues il m'aurait désossé... D'autres l'ont fait à sa place... A la fin, je rampais, tout baveux, de la sueur qui me brûlait les yeux, je cherchais les filles surtout, pas trop costaudes si possible, les petites, les graciles, les légères... Je me suis trouvé une dame d'un certain âge, à un moment, un peu perdue, qui avait peur de tomber... On va y aller bien mollo, que je lui ai dit, on n'est même pas forcés de tomber... A la toute fin, j'ai repéré un petit vieux que je n'avais même pas remarqué en deux jours, bien plus petit que moi, tout sec, cheveux tout blancs, des lunettes à carreaux bien épais... Bien gentil, en plus, souriant, qui me dit que c'est la fin, qu'on va finir le truc bien tranquillement, ce serait pas l'moment de se faire mal... Parfait... On plaisante un peu... Dès que j'ai saisi son poignet, j'ai compris mon erreur... Il m'a ratatiné... Gentiment ratatiné... Merci, lui ai-je dit à la fin, en m'inclinant...
(* L'aïkido, c'est un couteau de boucher, un même très beau couteau de boucher, un bel outil, bien tranchant... Le bon boucher, avec, il taillera un beau steak...)
mercredi 4 mai 2011
Comme elle me manque... Mouchette... C'est dur, de perdre un être cher... Tellement précieuse, Mouchette, simple, ne parlant jamais pour ne rien dire, ne faisant jamais rien pour ne rien faire... Aucune rancœur, jamais, aucune mesquinerie, jalousie, pourtant elle aurait eu parfois des raisons, jamais envieuse, pas du tout ambitieuse, la noblesse incarnée... Elle aurait pu aller vivre ailleurs, les appartements accueillants ne manquaient pas, alentour, et même le luxe, là où on vivait autrefois. Le mien d'appartement était le plus petit, le plus modeste de très loin, le seul même dans son genre si petit. (Princier! s'était exclamé un certain Singe, qui m'avait une fois rendu visite. Assis dans le fauteuil, il était tellement massif qu'il semblait emplir tout l'espace...) Autour, il n'y avait que des riches et même parfois très riches. J'ai ouvert la fenêtre, au tout début, je lui ai dit d'aller voir ailleurs, comme ça, pour qu'elle se fasse une idée, car peut-être que chez moi ce n'était pas très bien, même pour une minette de l'assistance, qui avait bien le droit quand même de désirer autre chose... Pendant deux jours et une nuit, elle a disparu, elle est allée voir, par là-bas... A la tombée de la deuxième nuit, j'ai vu sa tête qui passait par la fenêtre, elle me regardait, différemment d'avant, je lui ai souri, ça a duré quatorze ans... Elle partait chasser, dehors, le jour, la nuit, me ramenait des rouge-gorges, des chauve-souris... vivants, évidemment... Personne ne m'a jamais si bien considéré... Je suis une bête, moi aussi... Ce qui me distingue? Mon odeur, le soyeux de mon pelage, le timbre de ma voix, ma chaleur. C'est tout. Le reste n'est que fantasmes. Une sale bête? Une brave bête?... C'est selon... A chacun de voir... Je m'en fous... Une bête de somme aussi, c'est à dire de la sieste... Moi aussi, il m'arrive de sortir les griffes, quand je suis bien... Ah... qu'elles étaient bonnes, ces siestes, avec Mouchette... Et puis on regardait des films, l'après-midi, la nuit aussi... On était bien... J'ai plus de mal, maintenant, à regarder des films, à les finir surtout... Il me manque quelque chose, ou plutôt même quelqu'un... Sur la terrasse chez ma coiffeuse, une petite minette est venue se frotter à mes jambes, on a discuté un moment, elle était jolie, douce, bien fine aussi... mais ce n'était pas Mouchette... Il y a encore un peu son fantôme, chez moi... Avant, c'était chez nous...
mardi 3 mai 2011
"J'aime regarder l'eau. De près, c'est sale, mais je regarde au loin, où c'est propre... Vous savez quoi?... Je crois que je regarde l'eau parce que j'attends le monstre marin qui surgira un jour des profondeurs et m'emportera dans les grottes au fond de l'océan..." qu'elle lui dit, histoire de mieux faire connaissance. "Mes parents sont artistes de cabaret, enchaîne-t-il alors, leur numéro est chanté et dansé..." (Les filles, c'est quand même bien plus intéressant, bien plus fin que les garçons, souvent. Voilà pourquoi Lester Young appelait, sans distinction de sexe, les personnes qu'il appréciait Lady. Voilà pourquoi Céline s'appelait Céline et se proclamait femme du monde.) "They are not long, the days of wine and roses : Out of a misty dream... Our path emerges for a while, then closes... Within a dream..." , conclut-elle la scène, un poème d'Ernest Dowson lui remontant. Lui, juste avant, a lâché sa bouteille vide dans l'océan, la confiant solennellement aux profondeurs. L'eau, de près, c'est sale, mais je regarde au loin... On pourrait se passer la scène en boucle. C'est d'ailleurs ce que j'ai fait.
[ Bonus : le début du poème de Dowson
- They are not long, the weeping and the laughter,
- Love and desire and hate:
- I think they have no portion in us after
- We pass the gate. ]
dimanche 1 mai 2011
J'ai appris récemment que ma première amoureuse était morte d'un cancer. Je ne sais plus si on avait joué au docteur. Je crois bien qu'oui, même si je ne me souviens pas exactement. Ma première gifle aussi, ça je me souviens bien. (Ce n'était peut-être alors qu'un râteau?) C'est ma tante Odette qui me l'a appris. Ma sœur était tout étonnée que je me souvienne encore de son prénom : Laurence. Quelques jours après la mort de Mouchette je l'ai appris. Un cancer bien méchant, qui l'avait rendue toute difforme, monstrueuse. Elle avait honte et peur que ses enfants la voient, elle cachait son visage, Laurence...