jeudi 26 mars 2015

Le bonheur était légèreté. Un geste trop appuyé, une intention trop marquée et il disparaissait.

lundi 23 mars 2015

La difficulté n'était pas tant de grimper aux arbres que d'en redescendre. C'est pourquoi j'ai fini par ne plus du tout grimper aux arbres, malgré la forte tentation à chaque fois que je me suis trouvé au pied d'un arbre, l'Appel de la Cime... Grimper, c'est facile, mais redescendre... Tous les chats vous le diront... Alors j'ai fini par rester en bas, me consolant dans la contemplation. Je me souviens de la joie qui m'emplissait quand je grimpais aux arbres. Puis, arrivé en haut, passé le moment d'ivresse puis de plénitude, Maître du Monde, il était bientôt temps de redescendre et autant j'avais été leste pour grimper, autant pour redescendre c'était une autre histoire, soudain pris de vertige, les jambes flageolantes, des sueurs froides ruisselant dans mon dos, plus du tout Maître du Monde ni sûr de moi ni encore moins de la solidité des branches et c'était justement à ce moment, quand je me mettais à douter, que la branche cédait et que je me retrouvais alors dégringolant agrippé comme je pouvais au tronc, me brûlant les mains et les jambes, atterrissant lourdement, meurtri, lamentable et tremblant au pied de l'arbre. Si un jour je regrimpe à un arbre, je me suis dit un jour, ce sera pour ne plus jamais en redescendre. Et depuis je n'ai plus jamais grimpé à un arbre.

mercredi 18 mars 2015

Il n'y a pas de raison pour que les choses changent. Il n'y a pas de raison non plus pour que les choses ne changent pas. Il n'y a pas de raison. Mais dans tous les cas on cherche une raison, car il nous faut une raison. C'est ainsi. Car il n'y a pas de raison d'être là, s'il n'y a de raison à rien. On ne peut pas se contenter d'être juste là. Il faut une raison. Tout comme une chaise a une raison d'être, il nous faut aussi une raison d'être et la raison d'être se résume bien souvent à cette croyance fragile en l'être et en la raison qui peut aller avec, ceci, ou cela, selon les existences, ou bien ceci, puis cela, car on peut en changer comme de costume, quand l'un est trop usé on en enfile un autre, si on en a un autre sous la main, rapidement si possible car sinon on risque ce qu'on appelle la dépression, la dépression qui est une sorte de dérèglement climatique qui nous arrache brusquement ou lentement tous nos vêtements et laisse alors dans une sorte de nudité, une nudité même jusqu'à l'os, qui nous est difficilement supportable, car on ne peut alors plus se cacher, non pas seulement aux yeux du monde mais à nos propres yeux. Alors il faut une raison d'être. On y croit. Il le faut. Sinon tout s'écroule. Tout comme une chaise a une raison d'être. Si soudain cette même chaise cesse d'avoir sa raison d'être, que devient-elle? La raison d'être de la chaise, c'est le cul. Sans le cul, pas de chaise. Si l'être humain était sans cul, assurément, il n'y aurait pas de chaise. Je suis étonné qu'aucun penseur dans l'histoire de l'humanité n'ait soulevé ce problème. Le problème de la chaise, de la raison d'être de la chaise, qui est le cul, rien que le cul. Et le cul, alors, quelle est sa raison d'être? Certainement pas la chaise. La chaise n'est pas la raison d'être du cul, seulement un agrément. Tout comme le cul d'ailleurs peut être un agrément. Tout comme moi-même d'ailleurs je peux être un agrément. On peut d'ailleurs concevoir toute chose, toute personne, comme un agrément, ou un désagrément, ce qui est à peu près la même chose, selon l'humeur, le moment. Mais la chaise, soudain, privée de raison d'être, ou plutôt libérée, là, dans le pré. N'ayant plus à supporter muettement le poids de tous ces culs. N'existant alors que par elle-même, pour elle-même, sans raison, pour rien, enfin, dans ce monde soudain sans culs.

mardi 17 mars 2015

Elle n'a pas voulu que je garde de photos d'elle. Je n'ai donc gardé que les photos où elle n'était pas. Je ne regrette pas. (Même si je n'ai alors de photos que de celles que je n'ai pas eues.) Je me souviens parfaitement de cet après-midi, et de ce parc, de ces arbres, de cette chaise, de pourquoi j'étais là. C'est un peu comme dans les films d'Ozu. Le plan vide. Le temps s'arrête. Ou plutôt, on croit que le temps s'arrête. Mais évidemment il ne s'arrête pas. On disparaît, c'est tout. Une simple chaise a de nature plus grand avenir qu'un humain. Un objet, ou une œuvre, survit a son créateur et continue sa vie, modeste ou glorieuse, d'objet ou d'œuvre. Combien de culs viendront encore se poser sur cette chaise? Il pourrait y avoir des compteurs de culs, sur les chaises. Avec cette maladie de tout compter, je ne comprends pas qu'on n'y ait pas déjà pensé. Cette chaise, Madame, a supporté déjà dix mille cinq cent dix neuf culs de toutes sortes et je peux vous dire qu'elle en verra bien d'autres, qu'elle est encore bien jeunette, pour une chaise. Et ce blog, combien de milliers de regards bovins, d'esprits obtus, ont déjà pataugé dedans? Quarante six mille cent onze, à cet instant précis. Mais cette chaise, elle était assise dessus un instant plus tôt. Je lui avais dit qu'elle ressemblait à une fille dans les films de Rohmer des années 80 et ça l'avait fait rire. C'était la fin de l'été, il faisait déjà un peu frais, je lui avais prêté ma chemise kaki à épaulettes de l'armée britannique. Je l'ai revue, bien des années plus tard. Un soir. Elle avait l'air bien fané. Gênée un peu au début de me revoir. Mais elle a eu bientôt du mal à s'en aller. Ce besoin de meubler le silence, de combler les vides... de se parler comme de très vieux amis qu'on n'a jamais été... Mais il y avait du monde qui attendait derrière elle pour prendre une place de cinéma. Je bloque la queue, m'a-t-elle dit à un moment, à la fois désolée de ne pas pouvoir rester plus longtemps et soulagée de trouver un prétexte à abréger ce moment sans doute un peu pénible... Oui, lui ai-je souri... Bon film...

vendredi 13 mars 2015

Dans mes ascensions, il m'arrivait soudain de me figer. Pourquoi aller plus haut? Ne suis-je pas bien ici? N'ai-je pas trouvé sans même la rechercher une certaine félicité? J'aurais pu rester l'éternité, ici, si elle avait existé, ou plutôt si elle avait eu lieu. L'éternité a-t-elle lieu? Question que je me pose depuis tout petit : L'éternité a-t-elle lieu? J'en suis encore tout baba quand je me la pose, cette question : L'éternité a-t-elle lieu?... Ah... Qu'allais-je trouver en poursuivant l'ascension? Un gourbi de plus, assurément, pas en tout cas cette félicité... Sauf qu'au bout d'un moment, je commençais à avoir un peu froid... — La pierre, c'est beau, mais c'est froid... — Et si j'avais attendu plus longtemps encore, j'aurais commencé à avoir faim, ou envie de pisser... Alors ça n'aurait pas été gérable bien longtemps, de s'arrêter là, de s'arrêter là pour de bon, une fois pour toutes, à part peut-être pour y mourir, à bout de force s'arrêter et se coucher dans la pénombre sur la pierre froide... Un jour, je me dis, il me faudra trouver un endroit paisible comme celui-ci pour m'y dissoudre, m'y oublier... Et je me souviens alors de mes rêveries d'enfance, quand les éléphants partaient lentement pour leur dernier voyage, s'écroulant à la fin dans le fameux cimetière des éléphants... Quel émouvant et noble animal, l'éléphant... Je me rends compte alors que depuis ces rêveries d'enfance je ne pense qu'à ça, la marche de l'éléphant vers le cimetière des éléphants et que je me prends alors pour un genre d'éléphant, mais un éléphant sans cimetière où aller pour son dernier voyage, car il n'y a pas de lieu, pour moi, où aller... Alors je reste sur place, là... avec parfois l'impression d'être déjà dans un cercueil, dans cet appartement, mais aussi dans d'autres appartements, d'autres maisons... Mais la marche de l'éléphant vers le cimetière des éléphants... L'éternité a-t-elle lieu?... Ou bien : A-t-elle eu lieu?... Et maintenant, elle n'aurait plus lieu, alors... Ou le contraire?... Mais l'éléphant...

mercredi 4 mars 2015

Elle était très jolie, brune, élancée, douce, à lunettes. Elle venait de rompre avec son compagnon et cherchait un petit appartement, tout comme moi je cherchais un petit appartement et la fille de l'agence nous en avait fait visiter plusieurs ensemble. (Tôt le matin, on avait attendu un moment un troisième visiteur, qui finalement n'était pas venu.) J'avais eu l'impression alors d'être en couple, comme on dit. Jeune avocate et moi chômeur déjà un peu vieillissant. On s'était vite tutoyés et la fiction avait duré la matinée. Tu en penses quoi? Pas mal... La lumière est agréable... Les placards muraux, c'est bien pratique, aussi... Tu devrais le prendre, je lui disais... Mais toi, alors?... elle me demandait, soucieuse... Moi, je ne fais pas le poids, avec mon dossier misérable, ne t'occupe pas de moi, s'il te convient, vas-y, prends-le... Mais parfois on oubliait qu'on était en compétition, perdue d'avance pour moi, et on se mettait à dire on... On se souriait... Viens voir, là!... La vue... On serait pas mal, ici, hein, tu vois... Ton bureau, là... Une petite plante, là, sur le rebord... Ensuite, on était allés prendre un verre à une terrasse, lumière douce d'octobre, été indien, c'était agréable, même si elle allait déposer un dossier pour le seul appartement décent qu'on avait visité et que, non par galanterie mais par réalisme, je m'étais avoué vaincu d'avance... Puis un type s'était pointé, du genre jeune avocat, bien coiffé, m'avait regardé d'un air soupçonneux... Son ancien compagnon? Ou alors un prétendant?... J'avais fini par me sentir de trop et m'en étais allé sans même avoir pris son numéro, quel piètre séducteur j'étais... J'ai oublié son prénom... Elle s'était retournée au moment où j'allais prendre la photo... D'où le trouble... le trouble du voyeur découvert... C'est pour la montée d'escaliers, pour mes archives, j'adore les montées d'escaliers, je lui avais bredouillé... Tu veux que je sorte de la photo?... Non non, c'est bon, c'est juste pour mes archives, et puis ça me fera un souvenir...