jeudi 24 avril 2014

Tu croyais peut-être que je ne reviendrais plus? Que c'était fini?... Mais je reviens toujours. Fluctuant comme la mer, je vais et viens sans cesse... Et rien jamais n'est fini. Comment ce qui n'a jamais vraiment commencé pourrait alors finir?... Il est vrai cependant que je ne suis plus tout à fait le même homme... Je suis retourné voir ma mère. Ravie de me voir plus fumant du tout mais vapotant abondamment comme la machine à Papin. J'ai troqué mon paquet de tabac contre toutes sortes de fioles nicotinées, bien plus drogué qu'avant, flairant en permanence mes drogues sur mon embout, mes doigts. Ma mère m'a alors accueilli tel le fils prodigue revenu de 35 ans de tabagie et me voilà envoyant d'énormes nuages de vapeurs de havane dans la cuisine, dans le salon, moi qui jadis avais à peine le droit de fumeroller coupablement mon tabac de pauvre, été comme hiver sur le balcon. On va rendre visite à ma sœur. Me voilà vautré sur son canapé, complètement dans les vapes à m'envoyer voluptueusement ma nicotine. Comme c'est bon... Il m'aura fallu un peu plus de deux semaines pour décréter définitivement la vapeur supérieure à la fumée... Encore plus drogué qu'avant... Mais femme actuelle dit que c'est bien... Parfois stupéfait, voire bouleversé, j'ai retrouvé ce que je ne soupçonnais pas avoir perdu : goût, odorat, souffle, sommeil... À un moment, sur le canapé, ma sœur pose longuement sa main sur la mienne. Je la regarde. Elle a vieilli, sa main. La mienne aussi. On a vieilli... Le lendemain, dans la cave de ma mère, je trouve une vieille boîte de diapos : Été 69. C'était donc il y a 45 ans... 45 ans... Je ne les connaissais pas, ces photos... Ça m'émeut... Entre ma mère et ma sœur... Cet instant a eu lieu...

mardi 1 avril 2014

Le Clochard Noir est revenu. Il revient toujours. On l'oublie. Puis il revient. Il se pose là. Les autres se posent plutôt entre les poteaux. Lui, c'est à l'angle du mur qu'ils se pose. Les autres mendigotent. Lui, jamais. Entre les pierres du mur il cache parfois des petites choses, des bouts d'allumettes brûlées, d'autres petites choses, on ne sait pas toujours quoi, des tout petits paquets douteux qui contiennent on ne sait pas quoi, on ne veut pas savoir quoi. C'est lui, le Clochard Noir, qui avait préféré mon mégot puant à une cigarette toute neuve. Parce qu'il ne mendie pas. Il fouille les poubelles, pour y trouver sa pitance et toutes sortes de choses. Et il ramasse les mégots. Mais il ne mendie pas. Mon mégot, il ne me l'avait pas mendié, avait même voulu le troquer contre une infâme, huileuse petite étiquette — peut-être de fromage de chèvre, je m'étais dit. Les autres, ceux entre les poteaux, mendient. Mais pas lui. Jamais. Il est juste assis là, à l'angle du mur, de ce mur où il cache des petites choses entre les pierres. Il ne parle pas. Jamais. Parler serait peut-être comme mendier. Et il ne mendie pas. Il ne regarde pas non plus les gens qui passent ou qui sont là, peut-être pour la même raison qu'il ne mendie pas. Il se pose là et reste des heures... des heures... sans bouger... comme en méditation... Sa puanteur atroce : aura putride — personne n'oserait, ne pourrait approcher à moins d'un mètre de cette abomination sans défaillir... Il n'y a plus que des fantômes, de toutes façons... Ils croient être vivants, mais ce sont des fantômes, il le sait bien, le Clochard Noir... Peut-être qu'à une époque il faisait partie lui aussi de ce monde de fantômes, n'en sachant rien. Puis il a su et alors il n'a plus rien voulu avoir à faire avec ce monde-là de fantômes et depuis il vit tout seul dans ce monde de fantômes, se nourrissant seulement de leurs déchets, lui peut-être le dernier des hommes.