jeudi 31 janvier 2013

"Les peuples toujours idolâtrent la merde, que ce soit en musique, en peinture, en phrases, à la guerre ou sur les tréteaux. L'imposture est la déesse des foules. Si j'étais né dictateur (à Dieu ne plaise) il se passerait de drôles de choses. Je sais moi, ce qu'il a besoin le peuple, c'est pas d'une Révolution, c'est pas de dix Révolutions... Ce qu'il a besoin, c'est qu'on le foute pendant dix ans au silence et à l'eau!" qu'il disait, Ferdinand, dans Bagatelle pour un massacre. Après il en remet une couche sur les Juifs. Bon. Comme me disait il y a deux jours un Grand Singe au téléphone : "S'il avait mis con à la place de Juif, il aurait eu le Nobel." Et moi je dis que quand on aime quelqu'un, on ne fait pas le dégoûté quand soudain il se met à vomir tout debout. On l'aime en toute circonstance. On n'est pas comme ces filles qui ne vous veulent que quand vous êtes bien rasé et pomponné, bien gras du porte-monnaie, drôle, spirituel selon leur pauvre goût, admirable, bite increvable par dessus le marché. Il est malade, dans son lit, il sent mauvais, se fait dessus, on l'aime, on vient le voir, on lui apporte même des douceurs, on ne fait même pas la grimace, ou à peine, sur le coup, quand il vous les dégueule ensuite dessus ces douceurs. Il dit des conneries, on l'aime aussi. D'ailleurs il pourrait dire n'importe quoi on l'aimerait. C'est comme Coltrane, il prend son saxophone, il se le met en bouche, on ne peut plus l'arrêter ni s'arrêter de l'écouter. Même si parfois on s'emmerde, certains jours. On n'est pas au spectacle. On n'est pas venu voir un type qui marche sur un fil en espérant qu'il va tomber et tant qu'à faire en crever, au moins finir estropié. J'aurais aimé d'ailleurs l'entendre, Coltrane, jouer dans sa cuisine, pour personne, juste s'entraîner, faire des gammes et essayer des trucs. J'aurais été son voisin, j'aurais fait un petit trou dans le mur, à la chignole, doucement, qu'il ne me repère pas, pour y coller l'oreille. Et Céline, en lisant Bagatelle, je me dis la même chose. Il fait ses gammes. Il aurait mieux fait de la garder pour lui, peut-être, sa bagatelle. On aurait retrouvé ça, longtemps après, ses entraînements dans la cuisine, ces trucs qu'il essayait dans son laboratoire. On aurait dit : Ah ben il était antisémite alors, Ferdinand... j'aurais pas cru... pas à ce point en tout cas... En même temps, il ne savait pas être un peu... Au silence et à l'eau, c'est ce que je me dis aussi pour moi, ces derniers temps, c'est peut-être bien ça aussi qu'il me faut... Et à la fois non, il fallait qu'il la lance, sa bombe à merde bricolée urgemment, il avait besoin de s'y foutre vraiment, dans la merde... C'était son caractère... Ça ronronnait trop, depuis un certain temps...

mardi 22 janvier 2013

Alors tu te lèves avant l'aube maintenant... — Oui... — Tu n'étais jamais levé avant midi, avant... — C'est vrai... — Tu aurais donc un projet?... — Bien sûr que non... C'est justement parce que je n'en ai pas que j'ai décidé de me lever désormais avant l'aube... C'est parce que je me sens inutile... Et que je compte bien l'assumer entièrement... Longtemps, on m'a forcé à me lever de bonne heure... Une torture qu'on m'a infligée durant toute mon enfance et qui m'a sans doute traumatisé... L'école, les curés en blouses grises à l'aigre fumet, aux yeux vitreux, aux teins formolés, aux commissures juteuses, le tintement sarcastique du grand trousseau de clés, la toilette minutée l'hiver à l'eau froide juste un coup de gant puant sur le museau, jamais le temps de déféquer sereinement, toujours se dépêcher dans les couloirs jaunâtres les boyaux pas tranquilles, tout ça... Alors, quand j'ai pu, je ne me suis plus levé... Longtemps, ensuite, je me suis levé tard... À la fois, je me disais que c'était dommage, de ne pas voir l'aube se lever... Et qu'à l'époque de forçat où on me forçait à me lever avant les poules j'aurais tant aimé passer ce temps du tout petit matin à ne rien faire du tout, juste à regarder et entendre l'aube se lever... — Juste ça... — Oui... Je me lève avant les gens utiles du bâtiment, je les entends se préparer, tirer la chasse, les lumières s'allument, s'éteignent, puis ils s'en vont... Je me lève même avant les oiseaux... À un moment j'ai vu une corneille se poser sur une antenne télé... — Passionnant... — Et puis la lumière... Juste la lumière jaune de ma petite lampe sur ma feuille au début... Puis le matin blême... — Tu dis que tu n'as pas de projet, mais quand même, il y a une feuille, un stylo... — Oui... Les outils de l'inutile... Longtemps, je me suis senti utile, j'avais une fonction et même un métier, une place... Maintenant que je n'en ai plus, il est temps pour moi de retrouver ma non-place, je me suis dit, qui est peut-être bien ma seule vraie place... J'ai ressorti mon vieux stylo, celui avec une plume en or, l'ai tout démonté et nettoyé comme un soldat qui se prépare au combat, qu'il ne s'enraille pas en plein barouf, ai cru au début qu'il s'était fossilisé de l'intérieur tant l'encre avait durci, depuis le temps... — Alors, c'est la guerre?... — Peut-être bien... Une guerre immobile... je ne sais pas... En tout cas, quand je me lève en ce moment avant l'aube je bande bien dur... Alors oui, c'est peut-être la guerre... Je suis bien entendu tenté de me rendormir, presqu'assuré avec une telle érection de glisser dans un rêve formidable... Mais je me lève... Même si parfois je ne me lève pas et me rendors délicieusement... Mais plus ça va, plus j'ai tendance à me lever... Alors, je me lève entièrement...

dimanche 13 janvier 2013

J'avais fait ce rêve aussi, il y a quelque temps, peut-être un an ou deux, voire trois ou même plus je ne sais plus : Elle revenait. C'était à la maison. En famille. Mon père évidemment n'était pas mort et on était nous 4, comme on disait. On toquait à la porte. J'allais ouvrir. C'était elle. Depuis le temps que je ne l'avais pas vue, même dans mes rêves... J'en ouvrais de grands yeux et en étais un peu bouche bée sur le coup. À la fois, je savais qu'elle reviendrait un jour ou l'autre, même si je n'y croyais plus depuis longtemps, ce qui peut sembler contradictoire. Un peu anxieuse au début elle comprenait vite et sans qu'un mot ne fût prononcé que non seulement je ne lui en voulais pas mais que j'étais à ce moment le plus heureux des hommes. Alors elle a souri. Un sourire éblouissant. J'ai remarqué bientôt qu'elle avait les prémolaires couronnées d'or. D'où l'éclat. Je l'ai fait entrer. Ma mère, impressionnée, comme intimidée, ce qui n'est pas habituel, m'a glissé à l'oreille : Elle a d'la classe... Et moi, haussant les épaules et levant les yeux au ciel : Évidemment, qu'elle a d'la classe... Il faut dire que pour ma mère, avoir de la classe, c'était ce qu'il y avait de mieux... Je me souviens m'être réveillé ensuite avec un sourire béat, idiot, mais tellement heureux... Puis j'avais repensé à tout ça, qu'elle avait les dents longues et qu'il fallait que ça brille... m'étais aussi rappelé ma mère en ce temps-là, avec ses prémolaires en or... Son sourire étincelait... Elle avait d'la classe, je trouvais, ma mère, avec ses dents en or... J'en voyais d'autres, des femmes, avec des dents en or, mais aucune n'avait la classe de ma mère... Puis le temps a passé, les dents en or c'est devenu très moche, elle s'est fait mettre des céramiques...

vendredi 4 janvier 2013

J'ai rêvé qu'elle revenait. Au début, un type me suivait. Un émissaire, en fait, qui venait tâter le terrain, de loin d'abord, façon détective privé pas très discret que j'ai fini par coincer. Bon, qu'est-ce que vous cherchez?... Si je me souvenais d'elle? De son nom? Évidemment... J'avais laissé un poil sur la grille du siphon, pour voir. Un copain m'avait parlé du test du poil sur la savonnette. Mais comme il n'y avait pas de savonnette, juste un bidon de gel douche, il avait fallu s'adapter. Et d'autres petites choses plus ou moins répugnantes. Ce fut un échec total. Si j'avais voulu la dégoûter, je ne m'y serais pas pris autrement. Alors, elle revenait. Ça ne m'étonnait pas vraiment. Au fond, je savais qu'un jour ou l'autre elle reviendrait, même si je n'y croyais plus depuis longtemps, ce qui peut sembler contradictoire. Tout devient flou, ensuite, nos retrouvailles... Elle me souriait, comme autrefois, se tenait devant moi et mon cœur se fissurait finement de toutes parts comme une vieille porcelaine... Puis j'ai dû me lever pour aller pisser et je me suis dit que c'était bien dommage mais que c'était comme ça, que les rêves se terminaient, comme les histoires se terminaient, comme tout se terminait, parfois même juste parce que l'envie de pisser était plus forte que tout, mais que cette fois je ne lui aurais pas fait passer le test du poil sur la savonnette ni même aucun autre... Je suis allé me recoucher, suis arrivé bientôt dans un tout autre monde... Je ne l'avais jamais rencontrée avant, elle était policière, pas très grande, les cheveux courts châtain clair, jeune, énergique, menait l'enquête, presque sévère au début... J'en tombais instantanément amoureux... J'avais tous les indices, pour son enquête, les lui fournirais sans problème, même si c'était peut-être bien moi le coupable... Mais peut-être qu'on pourrait faire autre chose, je lui ai dit... Et soudain il n'y a plus eu d'enquête, ni d'indices... Son visage s'est adouci... La suite est floue... J'étais un peu frissonnant quand nos corps se sont enfin rencontrés, et elle aussi je crois... C'était chouette, je me suis dit, un peu plus tard, en me levant...

jeudi 3 janvier 2013

Je me suis dit qu'il faudrait commencer par ranger, mais je n'ai fait qu'ajouter un peu plus de désordre. J'ai poussé un peu les choses devant moi pour avoir au moins un bout de table dégagé. Au moins pouvoir poser un coude. La soupe attendra. Je vois un bout de navet, là-bas, le papier qui enveloppe la courge et ça sent un peu le poireau. Dessous, des noix. Hors champ, bâbord, des factures qui s'entassent anarchiquement et quand le tas est trop envahissant je le prends, le compacte comme je peux et le pose sur une chaise où s'élève un tas plus conséquent, une tour de factures qui a un moment finit par s'écrouler comme toutes les tours s'écroulent depuis Babel et alors je la ramasse, essaye de la compacter mieux, et là je décide enfin de la ranger, c'est à dire de la faire disparaître dans un tiroir quelconque ou dans des vieilles boîtes à chaussures et ça finit par faire une tour de boîtes à chaussures qui un jour ou l'autre elle aussi s'effondrera comme toutes les tours s'effondrent depuis Babel, hors de ma vue en tout cas, loin. Jusqu'au jour où j'ai besoin d'un papier. Alors il me faut tout ressortir et ça fait un gros tas sur la table, plus du tout une tour, un gros tas informe que je passe la journée à commencer de classer, quittances de loyer ici, factures de gaz et d'électricité là, avis d'impositions, fiches de paie, diplômes, lettres, cartes postales, notes parfois même sur des zones vierges de factures, et caetera, jusqu'au moment où je trouve ce que je cherchais même si parfois je ne trouve pas et alors dans tous les cas je refais un gros tas comme je peux, vite, remettant même dedans ce que j'avais soigneusement classé et je cherche un endroit pour faire redisparaître ce chaos, hors de ma vue, car j'ai horreur du désordre.

mardi 1 janvier 2013

Alors, tu es revenu... — Oui... Je ne savais pas où aller... La campagne était trop sombre... J'avais même l'impression qu'elle s'éteignait... — Alors, tu es revenu... — Oui... Je ne voyais pas d'autre endroit où aller ou plutôt retourner... Ouf, je me suis dit, en arrivant, me voilà à l'abri... Toutes ces maisons mornes que je voyais défiler dans ce monde désolé, la maison du pendu je me disais à chaque fois... — C'est un Cézanne... — Si ma mémoire est bonne... — Pas si lugubre que ça... — C'est vrai... Plutôt même colorée... Pas comme celles que je voyais défiler derrière la vitre du train... J'avais lu à une époque au sujet de la maison du pendu... Je ne me souviens plus... Mais il me semble qu'il n'y avait pas de pendu et qu'on l'appelait ainsi pour une autre raison... — Sauf que là, il n'y en a pas, de maison... — Quelle importance... — En tout cas c'est bien plus lugubre que la maison du pendu... — Oui... C'est peut-être que dans la maison du pendu il n'y avait pas de pendu même si la légende disait le contraire, alors qu'ici où il n'y a pas de légende ni de maison il y en a peut-être un... — Un pendu?... — Ou même plusieurs... Ou même plein... Une forêt... Que faire d'autre dans ce monde qui s'éteint?... — C'était le crépuscule, il faut dire... — Oui... Mais c'est toujours le crépuscule... — Heureusement, tu ne faisais que passer... — Oui... mais quand même... ça peut affecter, même en passant... — Alors, tu es revenu... — Oui... Mais je me sens toujours un peu là-bas... Comme si je m'étais semé... éparpillé en chemin dans ce décor lugubrement familier... Comme si c'était moi le pendu, ou plutôt la graine de pendu... — Graine de pendu...